
REVIEW OF AESTHETICS AND FINE ART
L'opéra postmoderne
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Depuis les années 60-70, l'opéra contemporain est-il postmoderne?
Dans les années 50 et 60, l'opéra traverse une crise profonde. Alors que Pierre Boulez appelle à "faire sauter les maisons d'opéras", de plus en plus de compositeurs se consacrent alors à la définition d'un nouveau genre par son thème, sa dramaturgie, son écriture musicale, sa dimension visuelle. et qui ressemble plus à un théâtre musical. Les compositeurs font des relectures audacieuses des mythes de l'Antiquité. Ils ont l'intention de livrer un message philosophique et politique. L'opéra contemporain s'est donc construit à partir de nouvelles règles de composition.
En outre, le postmodernisme est un mouvement artistique né dans les années soixante et considéré comme une réaction contre le modernisme. Ce que les compositeurs de la postmodernité contestent à l'esthétique moderne, c'est l'exclusivité de l'innovation au détriment de la tradition. L'opéra postmoderne a pour objectif de réintégrer la tradition dans la modernité en donnant naissance à une sorte de compositions hybrides. Sa modernité doit résulter de la combinaison de différentes pièces, empruntées ou inspirées, comme dans Le grand Macabre de G. Ligeti.
Les compositions postmodernes s'attaquent à une loi de composition spécifique que l'on pourrait assimiler à celle de G. Genette qualifiée de "palimpseste". Le terme palimpseste est défini comme un parchemin qui a été écrit ou inscrit deux ou trois fois, les textes précédents ayant été imparfaitement effacés ou restants, ils sont donc toujours visibles.
Tout d'abord, nous décrirons les caractéristiques générales des opéras postmodernes: comment la structure, le style et la fonction fonctionnent ensemble. Contrairement aux compositeurs modernes et par exemple à ceux qui représentaient le mouvement artistique de la musique concrète dont le slogan était d'inaugurer un
mode d'écriture fondamentalement novateur, les compositeurs de la postmodernité entendent rassembler tradition et modernisme. Dans une certaine mesure, ils parviennent à créer une nouvelle esthétique en intégrant des créations antérieures. De cette intertextualité découle une sorte d'opéra à plusieurs voix narratives exposant diverses superpositions. L’opéra du XXe siècle apparaît ainsi comme un lieu de remise en question permanente des critères qui définissent sa forme traditionnelle.
L'écriture devient une mosaïque de citations. Par exemple, Prometeo, l'opéra écrit par Luigi Nono entre 1981 et 1984 fait référence à quatre compositions du passé:
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• La Missa di Dadi de J. Desprez
• La première symphonie de Malher
• de Schumann
• L’échelle de l’Ave Maria du quattro pezzi sacri de Verdi.
G. Ligeti utilise parodiquement la 9ème symphonie de Beethoven ainsi que l'époque de Scott Joplin dans Le grand Macabre.
Alfred, l'opéra écrit en 1995 par Franco Donatoni fait référence à des extraits de Verdi, Donizetti et Bellini. En 1990, John Cage utilise également des citations tronquées dans Europeras. Il y a un phénomène de citations avec la pratique de l'intertextualité.
La composition apparaît comme le lieu d’un échange entre fragments d’énoncés qu’elle redistribue pour construire une nouvelle partition à partir de compositions précédentes. C'est ce qu'on appelle le dialogisme. Le dialogisme implique en effet une polyphonie. Il y a un échange, un dialogue entre différentes compositions dans la nouvelle composition qui est la somme de toutes les voix et de toutes les compositions précédentes.
G. Ligeti, L. Nono, P. Dusapin et L. Berio empruntent des processus stylistiques et formels du passé.
Nono utilise à Prometeo l'isorythmie du Moyen-Age, les techniques canoniques de la Renaissance franco-flamande et la polychoralité vénitienne dans l'arrangement de groupes instrumentaux et de solistes.
Dusapin utilise dans Medeamaterial les formes de musique baroque empruntées aux danses. Il utilise la passacaille, les sons métalliques du clavecin, les anciens modes pour traduire différents affects. Il inclut dans sa partition une page de caractérologie, des expressions de visages tirées de livres de la période baroque. Il utilise un tempérament baroque et des micro-intervalles. Il s'intéresse à la théorie des affects.
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Ce qui semble être aussi caractéristique du mouvement postmoderne, c'est son penchant pour la parodie. G. Ligeti pratique l'opéra parodique et une tendance à l'humour noir. Les scènes psychologiques n'existaient plus. Les compositeurs créent des personnages archétypaux, présentés dans une attitude plaisante qui transforme le sérieux en dérision. L'effet comique découle précisément de cette signification particulière du mélange de styles ainsi que du mélange d'aspects.
P. Manoury insère des épisodes rock dans son opéra 60e parallèle tout comme L. Andriessen dans son opéra De materie.
À l'aube du XXIe siècle, les compositeurs postmodernes envisagent que leur époque ne soit plus sous le signe de la dissidence, mais bien sous le signe d'une réconciliation des styles, des époques et des genres.
Dans une lecture critique de son opéra intitulé 60e parallèle Philippe Manoury affirme qu'aujourd'hui la création d'opéra a "un pied dans la tradition et un autre dans l'expérimentation". Ainsi, il définit l'opéra postmoderne..
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